Claude

Michel

Tout le malheur des hommes vient de ce qu'ils ne savent pas demeurer au repos dans leur chambre. Blaise PASCAL

Nous venions de vivre quelques mois difficiles, insupportables pour certains. On a parlé d’une jeunesse perdue, sacrifiée, d’un confinement inacceptable, et me posais des questions sur la capacité de nos générations quelques elles soient à accepter le singulier, l’extraordinaire.

Mon père né en 1923, avait aussi vécu une adolescence gâchée, il en parlait : le couvre-feu, les tickets d’alimentation, les topinambours, les bombardements, les rafles, les otages fusillés, les jugements sommaires, le travail obligatoire, les dénonciations, bref la guerre pendant 4 ans.

Mon grand-oncle Louis était un chanceux, il était né en 1895, donc pas de covid, pas de rafles, et la grippe espagnole ne sévissait pas encore.

J’imagine que dans les tranchées creusées en forêt d’Argonne, il se sentait protégé par ses « supérieurs », supérieurs à rien, sans aucun doute, bref, il faisait confiance à l’incompétence, comme le faisaient tous ses camarades de tranchées.

Alors le 1er mai 1915, à 20 ans, il est décédé, violement, sans raison, pour rien, dans le bois de Bolante, comme son compagnon d’infortune .

Il fût enseveli, à côté du village de Lachalade, comme un chien, sans bière, la terre remplissant ses yeux, au fur et à mesure que la pelle remplissait son trou, .

C’est là où je me suis rendu le 8 octobre 2021, pour voir, rien sans doute, ou peu de choses, mais être un instant près de lui, comme s’il pouvait me regarder de là-haut. En fait, je voulais juste faire quelque chose pour lui.  Au milieu de plus de 2000 tombes, je n’ai jamais retrouvé la sienne.

Le bois de Bolante

Au décès de mes parents, au milieu des passeports périmés, des médailles, au fond d’une boite à chaussures, une émouvante petite lettre jaunie, écrite à la mine de plomb par un des camarades de tranchée de mon grand oncle louis, expliquant à mon arrière grand-père la mort violente et inutile de son fils de 20 ans.
Cela se passait en forêt d’Argonne, le 1 mai 1915.

Mon cher Monsieur,
Je viens à l’instant de recevoir une lettre de chez moi dans laquelle l’on me dit que vous seriez content de savoir comment est mort votre fils.
Après avoir eu quelques jours de repos nous venions de reprendre les tranchées lorsque vers trois heures du soir les bôches se mettent à arroser copieusement nos tranchées avec des bombes, c’est au bout d’un quart d’heure que votre pauvre fils a été tué par un éclat, gros environ d’un centimètre carré, qui l’a touché à la tête, en pénétrant par la tempe droite, en y faisant qu’un tout petit trou. Votre fils monsieur, notre camarade est mort en vrai soldat, tué debout, face à l’ennemi, tué sans souffrance aucune sur le coup. Des mains amies lui ont fermé les yeux et l’ont enseveli, sans bière hélas, comme tant d’autres.
Il est enterré avec un de ses amis, tué par la même bombe, mais lui touché au coté.
Je n’ai pas pu savoir s’il avait quelque chose sur lui, mais tout ce qu’il avait lui a été enlevé, et vous sera envoyé.
Il est enterré dans le cimetière militaire des trois ravins, tout près du petit village de La Chalade où nous étions à la date du 1er mai et que nous avons quitté depuis. Une petite croix marque son emplacement avec son nom, la compagnie lui a acheté une  couronne qui surmonte sa croix qui se trouve à peu près dans le milieu du cimetière.
Voici à peu près le plan.
Comme il est enterré avec son camarade, peut être vous serait il utile d’avoir l’adresse de ses parents.
Guillemard Jean
Aux VIZELLES DE VILLEFRANCHE, Allier
Veuillez recevoir mes plus profondes condoléances.

A l’entrée du cimetière  une plaque explicative dont voici un extrait:

Au début de l’année 1915, le général Joffre applique une stratégie nouvelle, celle du “grignotage”. Les forces armées sont engagées dans d’importantes attaques localisées et répétées contre une position ennemie. Au termes de chacune d’elles les pertes  s’avèrent plus importantes que les résultats obtenus. Pour dissimuler de tels ravages, la lutte pour un mur ou la conquête d’une ruine devient une victoire retentissante dans les communiqués ou dans la presse.

Joffre est mort maréchal, dans son lit en 1931, encore quelques années et il se mêlait de la deuxième guerre mondiale.  Ouf….